https://www.zdnet.fr/actualites/brain-hacking-comment-les-acteurs-du-smartphone-vous-retournent-le-cerveau-39851376.htm

Technologie : Les mécanismes utilisés dans les applications mobiles sont ils destinés à nous aider au quotidien ? Ou nous rendent-ils volontairement dépendant des smartphones ? Le magazine 60 Minutes s’est attaqué à l’un des secrets de la Silicon Valley. Révélations, entre fascination et inquiétude.

C’est l’un des secrets le mieux protégé de la Silicon Valley. Au point que le magazine d’investigation 60 Minutes (CBS), en quête de réponses, ait trouvé porte close chez Google ou Facebook. Les questions qui fâchent ? Les mécanismes utilisés dans les applications mobiles et les services Web mobile sont ils destinés à nous aider au quotidien, ou au contraire à nous rendre totalement dépendant des smartphones ? Pourquoi un abonné de plus sur Twitter nous rend-il démesurément plus heureux ? Et pourquoi entendre une notification sonner sur son iPhone sans pouvoir y répondre nous rend totalement anxieux ?

Le grand témoin de l’émission se nomme Tristan Harris, un ancien de Google. « Ceci est une machine à sous » dit-il en montrant un smartphone. Il assure que nos téléphones embarquent sous leur capot des mécanismes identiques à ce que l’on trouve dans les casinos.

« Chaque fois que je vérifie mon téléphone, je joue à la machine à sous »

« Chaque fois que je vérifie mon téléphone, je joue à la machine à sous pour voir « Qu’est ce que j’ai de nouveau ». C’est une façon de détourner l’attention des gens et de créer une habitude » explique Tristan Harris. Parfois, nous obtenons de nouveaux messages, de nouveaux likes, de nouvelles informations. Autant de « récompense » qui peuvent être « excitante ». Et cette technique addictive est mise en place dans de nombreuses applications mobiles.

« Un développeur qui comprend comment fonctionne le cerveau sait comment écrire un code qui permettra au cerveau de faire certaines choses » assure Ramsay Brown, un neuro scientifique qui dirige Dopamine Labs, une startup californienne spécialisée dans le « brain hacking ». Le nom de la société est en soit évocateur : la dopamine est une molécule contenue dans notre cerveau qui est utilisée pour stimuler désir et plaisir. Dopamine Labs crée du code informatique utilisé par des éditeurs de solutions mobiles bancaires et de fitness. Objectif : faire revenir l’utilisateur face à l’écran de son smartphone.

Tristan Harris dénonce l’existence de code informatique destiné à créer de la dépendance. Objectif : augmenter l’engagement des internautes mobiles en titillant leur fibre compulsive. Et créer bonheur et anxiété à mesure que l’utilisateur consulte son smartphone, ou en est empêché. Pour ce faire, les développeurs utilisent des techniques de « brain hacking » dont l’objectif est de capter notre attention. Et incidemment de la détourner pour nous faire replonger sur Facebook ou Instagram.

Définir le meilleur moment pour gratifier les utilisateurs

L’ex de Google prend l’exemple des « streaks », ce compteur présent sur Snapchat qui permet aux adolescents (la cible prioritaire de ce réseau social) de visualiser le nombre de jours d’affilé que dure une conversation. « Certains gosses sont tellement stressés par cela que quand ils partent en vacances ils donnent leur mot de passe à cinq autres enfants afin de continuer leur série » explique Tristan Harris. « Vous pouvez vous demander si ces fonctionnalités sont conçues pour aider les gens à vivre ou pour rendre accro à l’utilisation du produit » dit-il.

Ainsi, le code développé par Dopamine Labs permet de définir le meilleur moment pour gratifier les utilisateurs de récompenses, comme des bonus ou des points, et les inciter à prolonger leur attention en ligne. Le tout via des algorithmes qui personnalisent les expériences de chaque utilisateur, qualifié de « cobaye ».

Extrait de l’émission de CBS consacrée au Brain Hacking : What is « brain hacking »? Tech insiders on why you should care.

Une équipe de chercheurs de la California State University s’intéresse justement aux effets de la technologie sur notre niveau d’anxiété. Concrètement, quand notre smartphone est mis en veille, notre cerveau demande à nos glandes surrénales de produire du cortisol, ce qui a pour effet de nous mettre en tension.

« Une personne lambda vérifie son téléphone toutes les 15 minutes ou moins »

« Une personne lambda vérifie son téléphone toutes les 15 minutes ou moins et la moitié du temps il n’y a pas d’alerte, pas de notification » explique Larry Rosen, qui dirige la recherche. « A l’intérieur du cerveau arrive un message qui dit : « Hey, je n’ai pas vérifié Facebook depuis un moment. Je n’ai pas vérifié ce flux Twitter depuis un moment. Je me demande si quelqu’un a commenté mon message Instagram ». Cela génère alors du cortisol et ça commence à vous inquiéter. Et finalement, votre objectif est de vous débarrasser de cette anxiété et donc vous vous connectez. La document de recherche suggère que nos smartphones nous gardent dans un état continuel d’anxiété. Le seul antidote connu étant la consultation du smartphone.

Objectif : continuer à collecter des données et à livrer de la publicité pour les annonceurs. Si les dépenses publicitaires ont doublé en deux ans sur les réseaux sociaux (31 milliards de dollars l’an passé), ce n’est donc pas que pour la qualité des produits vantés. « Vous ne payez pas pour utiliser Facebook » dit Ramsay Brown. « Ce sont les annonceurs qui paient pour Facebook. Vous pouvez l’utiliser gratuitement parce que ce sont vos yeux qui leur sont vendus. C’est Coca-Cola qui fait le chèque ».

Facebook – TF1, même combat

Et Ramsay Brown de rejoindre sur ce point l’analyse que faisait en 2004 Patrick Le Lay, alors PDG de TF1 quant au rôle qu’il assignait à la télévision.

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision » disait-il. « Mais dans une perspective « business », soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (…). Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».

« Vous passez la moitié de votre temps sur Facebook à vous déplacer »

Le fondateur de la startup explique à ce titre que si Facebook utilise le défilement continu sur son application, c’est parce que c’est un moyen éprouvé de vous faire rester attentif plus longtemps. « Vous passez la moitié de votre temps sur Facebook à vous déplacer pour trouver un bon contenu à regarder » dit-il.

La technologie n’est pas neutre dit clairement Tristan Harris. « Ils (ndlr. les éditeurs d’application mobile) veulent que vous l’utilisiez d’une manière particulière et pendant de longues périodes. Parce que c’est ainsi qu’ils font de l’argent. » C’est au cours de son travail chez Google que Tristan Harris a réfléchi aux implications du brain hacking sur le comportement des individus. Une préoccupation qui l’a amené à rédiger un document de 144 pages, largement lue et partagée chez Google selon lui, mais qui n’a pas eu d’incidence sur la conception des produits de l’entreprise. Il a quitté la société au bout de trois années.