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Incapable de se concentrer à l’école, impulsif, votre enfant ne tient pas en place. Et il passe beaucoup de temps devant la télévision ou la console de jeux vidéo. 
Ceci explique-t-il cela ? Entretien avec Bruno Harlé, pédopsychiatre au Centre Hospitalier Le Vinatier de Bron.

Propos recueillis par Héloïse Junier

L’hyperactivité et les difficultés attentionnelles 
chez l’enfant inquiètent parents et enseignants. 
De quoi s’agit-il exactement ?


Par définition, « hyperactivité » désigne l’enfant qui bouge beaucoup, au regard de trois dimensions : l’hyperactivité motrice, l’impulsivité, et la difficulté à se concentrer. L’hyperactivité est un trouble quand elle interfère durablement avec la qualité de la vie scolaire, familiale. Les enfants « hyperactifs » sont les 5 % qui bougent le plus pour leur tranche d’âge. Depuis le DSM-IV*, on assimile le fait de bouger beaucoup aux troubles de l’attention, d’où l’appellation TDAH, pour Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité. Ainsi, dans cette appellation, une cause est supposée : le déficit attentionnel. Cette idée séduit ceux qui estiment que l’agitation d’un enfant ne résulte pas d’un problème d’éducation ou des interactions affectives avec l’entourage, et ceux qui promeuvent la prise en charge médicamenteuse. Le Methylphenidate (1) est vendu comme un médicament pour traiter les troubles du déficit de l’attention, mais il agit à plusieurs niveaux. C’est évidemment plus acceptable de parler de médicament de l’attention que, par exemple, de « pilule de l’obéissance ». Avoir inséré le « déficit attentionnel » dans le nom du trouble est tout à fait discutable : selon des chercheurs américains spécialistes des neurosciences de l’attention, comme Michael Posner (2), les troubles attentionnels sont très inconstants chez les enfants recevant l’étiquette « TDAH ». Même les « fonctions exécutives »*, que certains auteurs incriminent de plus en plus, ne sont pas de bons marqueurs de TDAH. Beaucoup d’enfants « TDAH » se distinguent par un manque de motivation et de capacité à retarder la satisfaction. Il n’est pas question d’affirmer qu’aucun enfant « TDAH » n’a de problème d’attention, mais pour chacun, plusieurs facteurs sont impliqués dans des proportions diverses. La désignation TDAH est donc un abus de langage !

Les écrans altèrent-ils l’attention de l’enfant ?


Ce n’est pas seulement l’attention qui est touchée par les écrans, mais aussi la motivation, la capacité à différer la gratification, le langage, et enfin le sommeil, essentiel à la mémorisation. Les conclusions des recherches sont quasiment unanimes : l’exposition massive aux écrans exerce une influence négative importante sur le développement de ces fonctions cognitives. Ce problème est souvent sous-estimé, quand il n’est pas nié. Il s’agit d’une question de santé publique puisqu’une majorité d’enfants peut être considérée comme très exposée. Les effets cognitifs des écrans sont d’ailleurs relativement indépendants de la qualité des contenus. Plusieurs études longitudinales montrent un lien direct entre la durée d’exposition aux écrans – télévision et jeux vidéo – et les difficultés futures d’attention d’un enfant. Ainsi, un enfant qui « consomme » une heure de télévision chaque jour aura deux fois plus de risques de trouble attentionnel quand il sera à l’école primaire (3). De même, un enfant à l’école primaire qui « consomme » une heure de télévision par jour aura 50 % de risque supplémentaire de développer un trouble attentionnel à l’adolescence, compte tenu de ses difficultés attentionnelles initiales (4). D’ailleurs, la question n’est pas seulement de savoir si les écrans sont bons ou mauvais, c’est aussi d’évaluer ce que l’enfant ne fait pas pendant le temps d’écrans, ce que les chercheurs nomment le « temps volé » à d’autres activités plus profitables au développement.

Je pense qu’on néglige un autre facteur concernant l’hyperactivité. J’ai constaté, en consultation, que certains enfants présentent une difficulté majeure à être seuls. Les écrans fonctionnent pour ces enfants comme des « simulateurs de présence ». Le psychanalyste britannique Donald Winnicott faisait de l’acquisition de la « capacité à être seul » un processus clé du développement psychologique. Il me paraît clair que la consommation d’écrans n’aide pas ces enfants : au mieux masque-t-elle leur problème et soulage-t-elle les parents d’enfants très accaparants. En cas d’hospitalisation, un temps d’une demi-heure au calme dans leur chambre est parfois ce qui est le plus difficile à supporter pour ces enfants ! Bref, si les difficultés de ces enfants agités sont d’origines diverses, la consommation massive d’écrans joue un rôle délétère sur leur développement psychologique.

Comment expliquer que certains enfants restent attentifs des heures à un jeu vidéo, et à l’inverse, 
ont de la difficulté à se concentrer quelques minutes sur un problème de mathématiques ?


Cela a parfois été appelé « attention paradoxale » de l’enfant hyperactif. Et cela n’a pourtant rien de paradoxal : il suffit de sortir du dogme du « déficit attentionnel ». La motivation n’est évidemment pas la même, et la gratification n’est pas de même nature. Quant à l’attention, ce ne sont, dans les deux cas, pas du tout les mêmes composantes qui sont impliquées. Dans le premier cas, l’attention de l’enfant est attirée par les stimuli lumineux de l’écran, ce que l’on nomme le système bottom-up d’orientation de la vigilance. Ce module du système attentionnel est fonctionnel à la naissance. Dans le second cas, lorsque l’enfant planche sur un problème de mathématiques, il s’agit d’un contrôle volontaire : le système top-down de l’attention dirigée. C’est l’enfant qui décide de fixer son attention. Sont alors mobilisées sa motivation, sa capacité à tolérer la frustration induite par la difficulté de la tâche, ou encore sa capacité à résoudre le problème sans la présence de l’adulte. Ce système, lui, se développe, et l’enfant doit apprendre à le maîtriser.

Les écrans surexcitent le système bottom-up et ne permettent pas de développer le système top-down, pourtant précieux pour les apprentissages scolaires. C’est précisément le système top-down qu’il faut aider à développer. De nombreux enfants consultent pour des difficultés d’attention à l’école, alors qu’ils épuisent leurs ressources attentionnelles devant des dessins animés le matin, avant l’école !

L’origine de l’hyperactivité serait donc en partie environnementale, et non génétique ?


Parce que des études ont mis en avant « l’héritabilité génétique » de l’hyperactivité, de nombreux textes à destination des parents et même des médecins affirment qu’il est « prouvé » que l’hyperactivité est d’origine génétique, et que les relations affectives ou l’éducation ne sont pas à examiner. Pourtant, l’héritabilité ne dit absolument rien du rapport entre inné et environnement. Je m’explique : il existe des maladies dont l’héritabilité génétique est forte, mais pour lesquelles l’environnement joue un rôle majeur. Ainsi, la tuberculose, maladie infectieuse, a une forte héritabilité génétique ! La notion d’héritabilité induit en erreur le plus grand nombre, médecins inclus. Un article des chercheurs François Gonon et David Cohen souligne cette confusion (5).

« Déficit attentionnel » et « héritabilité génétique » sont deux des trois arguments souvent utilisés pour faire pencher la balance causale du côté de l’inné alors que l’environnement, au sens large, joue un rôle essentiel dans le développement de la stabilité attentionnelle. Le troisième argument employé par les partisans de l’inné repose sur les études d’imagerie. Pourtant, celles-ci ne permettent pas, la plupart du temps, de différencier l’inné de l’acquis. S’il existe de bons arguments pour défendre une participation génétique au TDAH, il serait honnête de dire que celle-ci est probablement très modeste dans la plupart des cas. Il est important d’insister sur les facteurs que sont la qualité des relations précoces et la stabilité affective, conditions essentielles du développement d’une régulation des émotions efficace et d’une estime de soi correcte. De plus, nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer les effets cognitifs de l’exposition massive aux écrans. Avec Michel Desmurget, directeur de recherches en neurosciences à l’Inserm, nous avons publié en 2012 un article en ce sens, à destination des pédiatres (6). Il existe de nombreux autres facteurs environnementaux bien documentés, mais l’importance des médias à écran dans la vie des enfants, la taille des effets négatifs à court et à long terme, ainsi que la possibilité qu’ont les adultes d’agir sur le temps d’exposition, nous semblent être de bons arguments pour prendre ce problème au sérieux !

Comment expliquer que le nombre d’enfants dits TDAH se soit accru au cours des dernières décennies ?


On s’aperçoit que l’environnement de l’enfant humain a beaucoup changé : les mères reprennent le travail très vite après la naissance, la pression scolaire s’est accrue de même que le temps d’exposition aux écrans, le temps de sommeil a baissé, les enfants sont bombardés de sollicitations et de stimulations peu adaptées à leur âge, le divertissement est survalorisé au détriment du goût de l’effort… Selon les derniers chiffres, aux États-Unis, près de 20 % des garçons entre 14 et 17 ans seraient diagnostiqués TDAH (7).

Développons la seule question des écrans. En quelques décennies, les écrans en tous genres se sont multipliés. En France, une majorité d’enfants et d’adolescents passe plus de temps par an à regarder la télévision qu’à écouter les enseignants (8). Aux États-Unis, les enfants âgés entre 8 et 18 ans consacrent quotidiennement sept heures et quarante minutes à un écran à des fins essentiellement divertissantes (9).

Le 17 janvier 2013, un Avis de l’Académie des Sciences 
a été publié à destination du grand public (10). 
Ses auteurs dédramatisent l’exposition des enfants 
aux écrans, voire l’encouragent. Qu’en pensez-vous ?


Leurs recommandations, qui vont à l’encontre de la littérature scientifique et des positions de plusieurs institutions sanitaires majeures, nous ont beaucoup surpris ! Dans cet Avis, le moindre élément positif en faveur des écrans est développé avec emphase, la plupart étant purement spéculatifs. À l’inverse, les effets négatifs mis en avant par les publications scientifiques sont mis au conditionnel, minimisés. Une simple analyse de la rhétorique permet donc de déduire le parti pris des auteurs. Cette publication fait l’apologie de ces médias, et ne sensibilise pas le grand public à ce que dit la recherche scientifique, à l’heure actuelle, des effets sur l’enfant de l’utilisation des ordinateurs. De plus, un poids indécent est accordé aux travaux d’une seule chercheuse qui défend l’usage des jeux violents. Cette chercheuse reconnaît pourtant que ces jeux ont un effet délétère sur les apprentissages scolaires. Quant aux effets connus sur la santé physique, ils ne sont même pas évoqués.

Une lecture attentive de l’Avis permet d’en mettre en évidence les erreurs ; c’est ce que j’ai fait avec Michel Desmurget et le professeur de psychologie sociale Laurent Bègue. Nous avons ainsi adressé au journal Le Monde (11) un texte cosigné par une cinquantaine de personnes compétentes en psychologie sociale et cognitive, en neurosciences, en sociologie. Soit les auteurs de l’Avis sont peu informés de la recherche, soit ils ont consciemment choisi d’en faire abstraction, pour différentes raisons… Nul ne peut ignorer les enjeux financiers colossaux derrière les louanges faites aux nouvelles technologies. On aurait tort de penser que nos critiques viennent forcément de « technophobes ». Pour ma part, je suis un utilisateur averti de l’informatique. Le développement cognitif et affectif de l’enfant mérite plus de respect que celui qui lui a été accordé par les « experts » choisis par l’Académie.

  • Limiter les écrans, ça marche !

Depuis quelques années, la question de l’impact 
des écrans sur l’enfant et l’adolescent est régulièrement posée dans les médias. Sabine Duflo, psychologue 
au Centre médico-psychologique (CMP) pour enfants de Noisy-le-Grand, en Seine Saint-Denis, reçoit des parents en demande de conseil pour leurs enfants. Pour elle, deux constats s’imposent : « D’abord, les motifs de consultation sont assez semblables, à savoir les troubles attentionnels, les troubles du comportement, 
les troubles anxieux… Ensuite, l’environnement, aussi diversifié soit-il, comporte souvent un facteur commun, 
à savoir le temps considérable que l’enfant consacre 
aux écrans, jusqu’à six heures par jour pour certains ! » En s’appuyant sur l’abondante littérature scientifique 
sur le sujet, Sabine Duflo intègre systématiquement, lors du premier entretien, des questions sur la place et 
la quantité de temps passé devant les écrans par 
les enfants, et une prescription de limitation et d’encadrement de ce temps lorsqu’il est nécessaire… 
et il l’est souvent. Et ça marche ! « Ces prescriptions, en effet, sont faciles à suivre par les parents, demandeurs de conseils pratiques, explique la psychologue. Lorsque le parent joue le jeu, les effets sont rapides et étonnants, en particulier chez les très jeunes enfants : augmentation du temps de sommeil, allongement de l’attention, acquisition accélérée du vocabulaire, plus grande tolérance aux situations de frustration. Le système cognitif et émotionnel de l’enfant se développe de façon optimale dans les échanges répétés avec un adulte tutélaire attentif et aimant. Pour les préserver, 
je recommande 4 « pas » : pas d’écran le matin, pas d’écran durant les repas, pas d’écran dans la chambre 
de l’enfant, pas d’écran avant 2 ans. »

(1) Vendu en France sous les noms de Ritaline, Quasym, Concerta.
(2) Michael I. Posner, Cognitive Neuroscience of Attention, 
The Guilford Press, 1ère édition, 2004. Dernier chapitre « Clinical and cognitive définitions of attention deficits  in children with ADHD », Swanson et al. p.430-445.

(3) Frederick J. Zimmerman, Dimitri A. Christakis, 
« Associations between content types of early media exposure 
and subsequent attentional problems », Pediatrics, 120, 2007.
(4) C. Erik Landhuis et al., « Does childhood television viewing lead 
to attention problems in adolescence ? Results from a prospective longitudinal study », Pediatrics, 120, 2007.
(5) David Cohen, François Gonon, « Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité : données récentes issues de l’expérience nord-
américaine », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 58, 2010.
(6) Michel Desmurget, Bruno Harlé, « Effets de l’exposition chronique 
aux écrans sur le développement cognitif de l’enfant », Archives 
de Pédiatrie, 19 (7), 2012.
(7) Alan Schwarz, Sarah Cohen, « A.D.H.D. Seen in 11 % of U.S. Children 
as Diagnoses Rise », The New York Times, 31 mars 2013.
(8) Michel Desmurget, Lobotomie : la vérité scientifique sur les effets 
de la télévision, Max Milo, 2011.
(9) Victoria J. Rideout et al., Generation M2 : media in the lives 
of 8-18 years-olds, Kaiser Family Foundation, janvier 2010
(10) Jean-François Bach, Olivier Houdé, Pierre Léna, Serge Tisseron, L’enfant et les écrans. Un Avis de l’Académie des Sciences, 
Éditions Le Pommier, 2013.
(11) Laurent Bègue, Michel Desmurget, Bruno Harlé, « Laisser 
les enfants devant l’écran est préjudiciable », Le Monde, 8 février 2013.