Les enfants dits « hyperactifs » ont souvent recours aux écrans pour éviter d’être seuls. Pour le pédopsychiatre Bruno Harlé, cette accoutumance entache le développement des fonctions cognitives.

Propos recueillis par Publié le 27 août 2014 à 16h38 – Mis à jour le 19 août 2019 à 14h47

Pédopsychiatre au centre hospitalier Le Vinatier, à Bron (Rhône-Alpes), le docteur Bruno Harlé avait cosigné une tribune dans nos colonnes, avec plus d’une cinquantaine d’autres experts, intitulée « Laisser les enfants devant les écrans est préjudiciable  » (Le Monde, du 9 février 2013). Cet article répondait à un avis de l’Académie des sciences, publié en janvier 2013, qui dédramatisait cet impact des écrans. Pourtant, la littérature scientifique montre que l’exposition massive des enfants à ces derniers influe négativement sur les fonctions cognitives.

Tablette, smartphone, console de jeux, télévision, ordinateur, les écrans occupent une place de plus en plus grande, y compris chez les enfants et les adolescents. Aux Etats-Unis, les 8-18 ans y passent chaque jour près de sept heures quarante. En France, c’est environ quatre heures trente pour le seul couple télévision-Internet. Or les études prouvent que les effets de la télévision sur l’obésité, le diabète de type 2 et les affections cardio-vasculaires sont certains (supplément « Sciences & techno » du 8 octobre 2011).

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Toutes les études scientifiques disponibles montrent que l’imprégnation a des incidences négatives majeures sur le développement des fonctions cognitives. En 2012, avec Michel Desmurget [directeur de recherches en neurosciences à l’Inserm et auteur du livreTV lobotomie. La vérité scientifique sur les effets de la télévision, éditions Max Milo], nous avons publié un article, dans la revue Archives de pédiatrie, axé sur les conséquences des écrans dans cinq domaines : réussite scolaire, langage, attention, sommeil et comportements agressifs.

Déjà, dans les années 1980, de vastes études épidémiologiques réalisées auprès de centaines de milliers d’enfants ont montré que le temps qu’ils passaient à regarder la télévision est associé négativement à leurs performances scolaires. De même pour les adolescents. Dans le domaine du langage, la télévision en bruit de fond nuit de façon importante au développement du langage des bébés.

EFFET TRÈS DÉLÉTÈRE SUR LE SOMMEIL

Plusieurs études effectuées avec une méthodologie rigoureuse établissent un lien entre exposition aux écrans et difficultés d’attention. Ainsi, un enfant de moins de 3 ans « consommant  » une heure de télévision chaque jour double le risque de présenter un trouble de l’attention à l’école primaire. Il est aussi prouvé que cette exposition a un effet très délétère sur le sommeil, essentiel à la mémorisation, et que la présence d’un écran dans la chambre de l’enfant est inversement correlée à la quantité et à la qualité de sommeil. Enfin, à la question de savoir si l’exposition à des images violentes accroît le risque de comportements violents, les méta-analyses y répondent positivement. Il existe également de vastes sujets de recherche sur l’impact du marketing et de la publicité.

Il existe peu de chiffres en France sur l’exposition aux écrans. Ce problème est souvent sous-estimé, quand il n’est pas nié. Pourtant, les conseils de prévention sont nécessaires et généralement efficaces. L’Association américaine de pédiatrie (American Academy of Pediatrics) a publié des recommandations en 2009, réactualisées en 2013 – et ce malgré un intense lobbying –, qui nous paraissent raisonnables et peuvent constituer des repères : retirer les écrans des chambres des enfants, les accompagner, limiter le temps d’exposition entre une et deux heures par jour, éviter les jeux violents et tous les médias à écran pour les bébés de moins de 2 ans, etc.

SIMULATEUR DE PRÉSENCE

Dans un grand nombre de cas, les enfants ayant des troubles de l’hyperactivité présentent un déficit de la capacité à être seul. L’écran fonctionne alors comme un simulateur de présence. Dans leur quotidien, ces enfants passent sans cesse d’un écran à un autre, ce qui n’aide pas à développer leur attention, ni leur capacité à rester seul dans une classe, à écouter un professeur, ou à se concentrer sur un devoir. Or, le psychanalyste britannique Donald Winnicott faisait de cette capacité de solitude un processus du développement psychologique, comme il l’écrivait dès 1958 (La Capacité d’être seul, Payot).

En cas d’hospitalisation de ces enfants dits « hyperactifs » ou « agités », on a constaté que le temps calme d’une demi-heure dans leur chambre est souvent le plus difficile à vivre. Cette quasi-incapacité à être seul génère des difficultés à réguler sesémotions (gestion des émotions négatives, de la frustration, de l’anxiété liée à la solitude). La chercheuse Daphné Bavelier, pourtant connue pour ses travaux cherchant à mettre en évidence les effets positifs des jeux vidéo, a d’ailleurs souligné, dans une conférence à l’université de Grenoble, en janvier, qu’elle déconseillerait les jeux vidéo d’action pour les enfants dits « hyperactifs ».