Sami Timimi, un psychiatre anticonformiste
Je dois la découverte de Sami Timimi au docteur Bruno Harlé, pédopsychiatre et grand amateur comme moi des iconoclastes du petit monde de la psychiatrie, des empêcheurs de penser en rond, bref de tous ceux qui pensent nécessaire de se poser au quotidien, dans notre travail, ces 3 questions : Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Dans quel but ?
S’il fallait rattacher Sami Timimi à un courant de pensée, je dirais qu’il se situe d’un point de vue théorique entre Michel Foucault1 (pour son gout pour l’épistémologie) et Erving Goffman2 (pour la dimension sociale et politique). D’un point de vue clinique, il est dans la lignée d’un Irvin Yalom, pour son approche humaniste des problèmes de santé mentale.
Comme Michel Foucault en son temps, il est urgent pour Sami Timimi de s’interroger sur l’outil de base du pédopsychiatre, sur ce qui condense son savoir et son pouvoir : le diagnostic.
En partant des diagnostics actuels les plus répandus chez l’enfant : le TDAH, la dépression, l’autisme, Sami Timimi pose la question de leur genèse. Comment tel diagnostic est-il apparu ? Sur quelle base scientifique (ou absence de base) repose-t-il ? Ces questions en apparence anodines sont loin de l’être. Ce sont même des questions essentielles et… dangereuses car leur réponse, honnête, conduit nécessairement le lecteur à comprendre l’envers du décor.
Pour Sami Timimi, les diagnostics en pédopsychiatrie ne renvoient pas à l’essence ou la nature profonde de l’enfant mais sont avant tout des classifications. Et ces classifications, reposent selon lui, sur le regroupement arbitraire de symptômes, attitudes ou comportements de l’enfant. « Nos outils professionnels (tels que les diagnostics) ne reflètent aucune avancée de découverte scientifique mais seulement un autre groupe de croyances culturelles et pratiques… »3 Le problème est que « ces croyances et pratiques ont beaucoup de conséquences négatives et involontaires ». Parmi elles, citons ce que Sami Timimi appelle la MacDonalisation de la santé mentale. « La puissance de marketing d’une promesse de solution technique/scientifique prime la plupart du temps sur les complexités de l ‘être humain (c’est ce que j’appelle le « scientisme » du marketing, – la science en tant que système de croyance, plutôt que preuve basée sur un système d’évaluation) »4.
Cette façon d’appréhender le comportement de l’enfant comme détaché de tout contexte social et politique, comme indépendant de toute genèse aboutit à un traitement et une prise en charge prétendument sur mesure de chaque trouble. Or, tout en n’apportant qu’un faible bénéfice à ses symptômes, elle préserve le contexte dans lequel ce trouble est apparu et fournit de façon exponentielle du travail pour les institutions de soins…..
Cette thématique se retrouve aussi bien dans son premier livre, Pathological Child Psychiatry and the Medicalization of Childhood (2000) que dans un ouvrage plus récent à destination du grand public, A Straight Talking Introduction to Children’s Mental Health Problem (janvier 2009).

1 Michel Foucault Naissance de la clinique, PUF, 1963
2 Erving Goffman Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux. Editions de minuit., 1968
3 https://www.psychologytoday.com/us/blog/rethinking-mental-health/201604/sami-timimi-adhd-autism-and-childrens-mental-health
4 Ibid

Sami Timimi a par ailleurs consacré trois livres à développer cette idée en partant de diagnostics précis. D’abord avec le TDAH (ADHD en anglais) : le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Naughty Boys : Anti-social Behaviour, ADHD and the Role of Culture (2005) et Mis-Understanding ADHD : The Complete Guide for Parents to Alternatives (2007) décortiquent ce diagnostic qui concernent tant de garçons aujourd’hui. De façon plus subversive encore, l’ auteur procède de la même façon avec un autre diagnostic dont les taux ont explosé ces dernières années : celui d’autisme ou TSA.

The Myth of Autism : Medicalising Men’s and Boy’s Social and Emotional Competence (oct 2010), co-écrit avec deux personnes « autistes », retrace l’histoire de la création de ce terme, la façon dont il a d’abord servi à décrire une attitude du sujet avant de devenir un diagnostic ; quels sont les médecins qui ont opéré ce passage. Plus intéressant encore, Sami Timimi décortique et analyse les outils qui servent de diagnostic à l’autisme.
En réalité, Sami Timimi pose une question essentielle : quel est le modèle de la psychiatrie de l’enfant ? Sur quelles bases reposent les classifications en santé mentale ? Quelles sont les conséquences (positives ou négatives) pour le sujet qui reçoit une étiquette de TDAH, de TSA, ou de Dépression ?
Pour donner l’envie de découvrir ses livres, nous avons traduit un article de Sami Timimi paru sur le site Mad in America en avril 2017 au sujet de son livre The Myth of Autism .
Le texte anglais original suit la traduction qui en a été faite.

Sabine Duflo, psychologue clinicienne et thérapeute familiale. Membre du collectif CoSE.