Le Devoir

14 septembre 2016 |Pauline Gravel | Science et technologie

Laisser les jeunes enfants regarder la télévision plus de deux heures par jour augmente significativement le risque qu’ils vivent des relations sociales dysfonctionnelles au moment de l’adolescence, indique une étude longitudinale menée auprès d’enfants québécois.

En analysant les renseignements obtenus sur 991 filles et 1006 garçons nés au Québec en 1997 et suivis depuis leur naissance, la professeure Linda Pagani, de l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, avait précédemment relevé que, parmi ces enfants, ceux qui avaient été abondamment exposés à la télévision sans supervision à l’âge de deux ans et demi étaient, à la maternelle, plus souvent victimes de bousculade, de moquerie et de mesquinerie que les autres élèves. La chercheuse avait également noté que le phénomène était toujours présent en 2e année et en 4e année.

Selon Mme Pagani, les résultats de l’étude qui viennent d’être publiés dans la revue Psychological Medicine confirment les méfaits d’une écoute excessive de la télévision en bas âge sur le comportement social plus tard dans la vie puisque ce sont les jeunes eux-mêmes, alors âgés de 13 ans, qui ont décrit leurs propres comportements antisociaux.

« Ces jeunes qui venaient de terminer leur première année de secondaire ont avoué être plus souvent victimes de bousculade, de moquerie et de mesquinerie, et ont révélé une préférence pour la solitude. Qui plus est, ces jeunes présentaient plus de comportements antisociaux, comme vandaliser ou voler les biens d’autrui, mentir, tricher, ou exclure une personne quand ils sont fâchés avec elle. Ils étaient aussi plus enclins à faire preuve d’agressivité proactive, comme menacer les autres par la peur, encourager les autres à se moquer ou à embêter quelqu’un qu’ils n’aiment pas dans le but de dominer », précise-t-elle.

Développement du cerveau

Et plus ces jeunes avaient passé de temps devant la télé à l’âge de deux ans, plus ils étaient à risque de présenter un comportement social problématique à l’âge de 13 ans. Linda Pagani explique cette augmentation du risque par le fait que c’est durant la période postnatale que s’établissent les connexions entre les neurones du cerveau. « Cette phase du développement concerne toutes les parties du cerveau, y compris le cerveau social, où survient un intense réseautage [entre les neurones]. Et pour que ce réseautage se fasse correctement, l’enfant doit expérimenter plein d’interactions sociales. Or les jeunes enfants qui restent plusieurs heures devant la télé consacrent ainsi moins de temps à des activités enrichissantes qui favorisent le développement des fonctions du cerveau social, lesquelles servent notamment à résoudre les problèmes interpersonnels et à réguler ses émotions », explique la chercheuse.

Dès la naissance, le cerveau des bébés cherche à établir un contact visuel avec les personnes qui les entourent. « Le réseau neuronal qui les incite au contact visuel est présent, mais il a besoin d’être développé et entraîné par des interactions avec d’autres personnes. C’est par le contact visuel que nous traitons des informations sensorielles socialement pertinentes et l’état d’esprit interne des personnes avec lesquelles on interagit. Or trop de temps devant la télé diminue les occasions de contact visuel », souligne Mme Pagani, qui déplore le fait qu’en Amérique du Nord, 50 % des enfants mangent devant la télé. « Car le repas familial est une importante activité sociale qu’il faut absolument préserver », dit-elle.

La chercheuse recommande aux parents de réduire le temps que leur jeune enfant passe devant la télévision et de plutôt privilégier les jeux créatifs, les activités physiques de groupe et celles impliquant des conversations qui favoriseront un meilleur développement social de l’enfant et par conséquent une vie adulte plus saine. Car les auteurs de l’article rappellent que les adolescents qui vivent des interactions sociales dysfonctionnelles courent un plus grand risque de souffrir de dépression et d’avoir des problèmes socioéconomiques, comme le chômage, à l’âge adulte.